À six ans, un enfant maîtrise déjà le déverrouillage d’un smartphone mieux qu’un cadenas de vélo. Les écrans sont partout, omniprésents, au point de rythmer les journées des plus jeunes comme une évidence silencieuse. Tablettes, téléphones, ordinateurs : la liste s’allonge, et avec elle, les inquiétudes sur la manière dont ces outils façonnent le cerveau en plein développement. Les chercheurs s’alarment : les heures passées devant les écrans ne sont pas sans conséquences, qu’il s’agisse d’attention, de mémoire ou d’équilibre émotionnel. Les signaux d’alerte se multiplient, forçant parents et éducateurs à s’interroger sur l’avenir numérique de leurs enfants.
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Les effets des écrans sur le développement cognitif des enfants
Michel Desmurget, figure reconnue du CNRS et auteur de La Fabrique du crétin digital, ne mâche pas ses mots. Pour lui, l’abus de smartphones, téléviseurs et jeux vidéo chez les enfants laisse des traces tangibles : la substance blanche du cerveau, ce réseau d’échanges indispensable au raisonnement, s’amenuise dans certaines zones clés. Les études qu’il dirige, rejointes par d’autres travaux, tracent la même ligne rouge.
Au cœur de la revue JAMA Pediatrics, une équipe de chercheurs a analysé, grâce à l’IRM, le cerveau d’enfants longuement exposés aux écrans. Les images révèlent des transformations dans les régions responsables de la neuroplasticité : cette faculté du cerveau à apprendre de son environnement. La mémoire, la concentration, la capacité à assimiler de nouvelles connaissances peuvent toutes être affectées. Pour comprendre la solidité de ces constats, plusieurs sources scientifiques majeures viennent appuyer le propos :
- CNRS : Michel Desmurget a piloté des travaux montrant l’impact délétère des écrans sur les fonctions cognitives.
- Académie des sciences : Le rapport « L’enfant et les écrans », cosigné par Jean-François Bach, Serge Tisseron et Olivier Houdé, met en avant des risques concrets pour la maturation cérébrale.
- Université de Sherbrooke : David Fortin, neurochirurgien, insiste sur le besoin de réduire l’exposition pour préserver l’équilibre mental des plus jeunes.
Autre point de friction : la raréfaction des échanges entre enfants et la baisse de l’activité physique, corollaires directs d’une utilisation démesurée des écrans. Ces interactions et ces mouvements forment le socle d’un développement harmonieux. Les chiffres sont là : les enfants les plus connectés dorment moins bien, décrochent en classe, et leur moral s’en ressent.
Les risques psychologiques et émotionnels liés à l’exposition aux écrans
L’impact des écrans ne s’arrête pas à la cognition. L’Organisation mondiale de la santé (OMS) va droit au but : zéro écran avant deux ans, une heure maximum par jour entre deux et cinq ans. Derrière cette recommandation, une réalité inquiétante. L’exposition prolongée aux écrans s’accompagne de troubles d’ordre psychologique et émotionnel chez les enfants.
Les données du NIH sont limpides : la surconsommation d’écrans stimule la production de dopamine, molécule du plaisir et de la récompense. Cette surdose altère le fonctionnement du cerveau, jusqu’à générer des symptômes qui évoquent le trouble du déficit de l’attention avec hyperactivité (TDAH), comme l’explique la neuropsychologue Sylvie Chokron.
Du côté de l’Oxford Internet Institute, Andrew Przybylski a mis en lumière un lien direct entre le temps passé devant un écran et la dégradation de certaines facultés psychocognitives. Des troubles anxieux ou dépressifs émergent plus fréquemment chez les enfants hyperconnectés. Pete Etchells, interrogé dans le New Scientist, alerte : la combinaison d’un manque d’exercice et d’interactions humaines renforce ces effets.
Des voix comme celle de Sabine Duflo, psychologue, réclament une régulation ferme de l’exposition des enfants aux écrans. Agnès Buzyn, ancienne ministre, a d’ailleurs soutenu l’interdiction des écrans avant trois ans, défendue par le CSA. Le professeur François Carré, cardiologue, rappelle de son côté que la sédentarité, inévitable quand les écrans prennent le pas, nuit aussi à la santé physique.
Stratégies pour une utilisation équilibrée et bénéfique des écrans
Face à ces constats, les professionnels de santé et de l’éducation proposent plusieurs pistes concrètes pour accompagner les enfants vers un usage plus réfléchi des écrans. Voici les mesures les plus souvent préconisées par des organismes comme l’OMS ou Santé publique France :
- Limiter le temps d’écran : L’OMS préconise d’écarter les écrans pour les moins de deux ans et de fixer un maximum d’une heure par jour entre deux et cinq ans.
- Proposer des alternatives actives : Encourager la pratique d’activités physiques et de jeux extérieurs pour contrebalancer le temps passé devant un écran.
- Sélectionner le contenu : Privilégier les applications et programmes éducatifs, tout en écartant ceux qui sont violents ou inadaptés à l’âge.
Certains pays n’hésitent plus à légiférer. Bernard Drainville, ministre de l’Éducation au Québec, a interdit l’usage des téléphones portables en primaire et en secondaire. L’objectif est clair : réduire les distractions pour favoriser un climat propice à l’apprentissage.
L’Académie des sciences, dans son rapport phare, recommande d’instaurer un cadre familial équilibré. Par exemple, fixer des moments sans écran, les repas, le coucher, pour préserver la qualité du sommeil et renforcer les liens familiaux.
Les Canadian 24-Hour Movement Guidelines rappellent qu’il est possible d’établir une routine quotidienne qui intègre suffisamment de sommeil, d’activité physique et de moments de détente loin des appareils connectés. À la clé, un équilibre durable qui laisse toute sa place à l’enfance, loin du défilement infini des notifications.
Il ne s’agit pas de bannir les écrans, mais de reprendre la main. Parce qu’au fond, chaque minute gagnée loin de la lumière bleue est une invitation à explorer, à imaginer, à grandir autrement. Reste à choisir sur quel écran on souhaite projeter l’histoire de nos enfants.


